Par Paula Fleming
mercredi 15 octobre 2008.
Traduction par Freyja
Notre histoire se déroule dans un monde. Ce monde est susceptible de changer ou non. Cela paraît simple. Ne vous en faites pas : cela va devenir plus intéressant ! Ainsi, il est important de comprendre la nature changeante ou stable de notre monde pour développer une intrigue qui ait une portée et de la cohérence. Jetons un œil à quelques exemples :
Un monde qui change
Un monde stable
Comme l’indiquent explicitement ces exemples, un monde fixe peut exister à l’intérieur d’un monde inconstant, et vice-versa. Beaucoup, beaucoup d’histoires ont été écrites au sujet d’un ou deux personnages vivant dans des mondes qui se chevauchent, l’un changeant et l’autre stable. Une génération peut vivre dans un village féodal, tandis que la génération suivante aura voyagé avec une armée et vu des arbalètes capables de tuer des chevaliers. D’une autre manière, la société en général peut être strictement homophobe, et punir les LGBT [1] pris en flagrant délit par une pendaison sur la place publique, alors qu’au cœur d’un foyer, des parents apprennent à accepter leur enfant homosexuel.
Lorsque nous déterminons le caractère changeant ou fixe de notre monde, nous nous attardons sur le cadre. Le cadre ne doit pas être confondu avec l’intrigue, constituée des événements qui se déroulent dans notre histoire. Des événements peuvent impliquer notre monde selon l’un des moyens élémentaires suivants :
Un monde qui change
Un monde stable
Nous voilà désormais dans une belle pagaille. Les divers personnages de notre histoire peuvent vivre dans des mondes quelque peu différents, de taille et stabilité variées, et puis des choses leur arrivent qui peuvent plus ou moins interagir avec leurs mondes... Comment ne pas perdre de vue notre objectif, raconter une bonne histoire ? Je soupçonne que beaucoup d’écrivains ayant des problèmes pour mener leurs histoires à terme, parce qu’ils n’ont de cesse de s’étendre dans dix directions à la fois, ont du mal à mettre la main sur cette interaction entre leur intrigue et des mondes changeants ou statiques.
Un modèle historiographique peut nous aider à nous en sortir. L’historiographie est le moyen par lequel les historiens déterminent la raison pour laquelle les choses se passent. Différents historiens ont adopté différents modèles pour l’origine des événements, et ils débattent du pour et du contre de leurs modèles favoris en long et en large.
Fernand Braudel a utilisé un de ces modèles dans un ouvrage de référence, La méditerranée. Dans les Annales, Braudel croyait que le temps n’était pas constitué d’un seul flux, mais de trois : le temps géologique, le temps social, et le temps individuel. C’est au moment où ces trois cycles convergent que se déroulent des choses intéressantes.
Alors, de quelle manière cela peut-il nous aider ? La plupart des personnages, à part les entités de grande longévité, percevront le temps géologique comme quelque chose d’immuable. Les histoires mises en place dans le temps géologique sont, du point de vue des personnages, mises en place dans un monde statique. La géologie et le climat d’un monde établissent ses possibilités, mais de façon générale ils ne changent pas en l’espace d’une vie humaine. Notez que la science-fiction joue avec cela : la terraformation, le réchauffement de la planète, et l’impact d’un astéroïde sont tant de manières permettant à la géologie ou au climat de passer du temps géologique aux flux temporels qui nous sont plus proches — le temps social ou individuel.
Le passage du temps social peut être perçu au delà d’une génération. Si l’histoire traite dans une certaine mesure d’un "fossé générationnel", les personnages vivent dans le temps social. Des circonstances telles que la déchéance de l’autorité féodale au profit de la couronne, la tendance des enfants ayant grandi mais n’étant pas mariés à partir pour la ville plutôt que de rester chez eux, et une acceptation grandissante de la monnaie Martienne sur Terre se dérouleraient toutes dans le temps social. Dans le monde développé du 20ième siècle, les cycles de temps sociaux se sont précipités de façon dramatique, permettant aux individus de se placer au début ou à la fin de mouvements socio-économiques plus vastes.
Ce qui nous amène au temps individuel. Nos personnages, lorsqu’ils ont une durée d’existence humaine, perçoivent aisément le temps individuel. Une nation déclare la guerre à une autre. Un écrivain de talent décide d’abandonner l’école pendant un an et de faire du stop. Un chamane choisit un garçon né à la lune bleue pour assurer sa succession. Les événements — notre intrigue — surviennent de façon générale dans le temps individuel.
La plupart des mondes de nos histoires sont créés dans les temps géologique ou social. La plupart des intrigues se déroulent dans le temps individuel. Lorsque ces cycles se croisent, nous avons une histoire importante entre nos mains. Alors, du point de vue de chaque personnage :
Pensez à un livre ou une nouvelle connus et répondez à ces trois questions. Le cadre se trouve-t-il dans le temps géologique, social ou individuel ? Le protagoniste perçoit-il ce cadre comme changeant ou stable ? Et l’intrigue se déroule-t-elle dans le temps géologique, social ou individuel ?
Par exemple, considérons Mission Child, de Maureen F. McHugh, qui parle d’une fille appartenant à une sorte de culture Lapone à qui la technologie moderne est présentée. Je vois le cadre comme étant dans le temps géologique : les personnages errent sur la planète, qui a ses propres règles en ce qui concerne l’alimentation humaine et la façon dont les humains assurent leur subsistance. Je vois l’intrigue se passer dans le temps social : l’histoire se développe sur une décennie environ, et grâce à l’introduction de nouvelles technologies, le changement social s’opère très rapidement. Ce sont ces changements socio-économico-culturels qui forment le mouvement du roman, cela plus que les actions de la protagoniste.
Maintenant, pensez à une ou plusieurs de vos histoires, et posez-vous les mêmes questions.
Ok, maintenant que nous avons identifié les flux temporels de notre cadre et de notre intrigue, revenons aux interactions entre les événements et notre monde. Si ce dernier change, les événements font-ils partie de ce changement, ou bien vont-ils à son encontre ? Si notre monde est statique, les événements rompent-ils le statu quo, ou le renforcent-ils ?
Si les réponses à ces questions sont troubles, alors il est possible que nous devions consolider la construction de notre monde. Sans une compréhension claire de notre cadre, il est fort possible que nos intrigues manquent de portée ou de cohérence.
Les textes de science-fiction et de fantasy de Paula L. Fleming sont apparus dans nombre de publications, y compris gothic.net, Tales of the Unanticipated #20, #22 et #24, l’anthologie Such a Pretty Face de Meisha Merlin, et Extremes 3 : Terror on the High Seas de Loves Wolf Publishing. Diplômée de l’atelier Clarion (Clarion Workshop), Paula s’occupe d’une liste des marchés de fiction spéculative (mise à jour tous les trois mois). De jour, elle s’occupe des ressources humaines à la Wedge Community Co-op. Pour l’aider, elle a trois gros chiens, deux chats et un mari.
Cet article a d’abord été publié en anglais sur Writing-World.com - http://www.writing-world.com/.
[1] Sigle représentant les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres