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Mélanger science et magie : la course au désastre ?

Par Paula Fleming

jeudi 20 décembre 2007.

Traduction par Leippya


Une amie m’a écrit pour se lamenter des difficultés qu’un roman en cours lui créait. Une apprentie chamane originaire d’une société de chasseurs-cueilleurs se retrouve envoyée par magie sur la Terre du 21ème siècle. Durant son apprentissage de chamane, elle a appris à entendre le "battement de la terre," le rythme écologique du monde.

Dixit l’auteur : « Je veux que le livre ait un sens du fantastique et du mystérieux, c’est ce que j’aime dans la fantasy. Là où je deviens folle, c’est quand je l’amène dans notre monde, où je pourrais réellement faire le lien avec la science écologique et donner aux battements de la terre un visage réel et précis. Et si possible éviter qu’on réduise le livre a des sornettes New Age, etc, écrit par quelqu’un de trop fainéant pour faire des recherches. Mais les deux tons n’ont pas l’air de vouloir se mélanger. »

Ce roman est-il fichu, ou la magie et la science peuvent-elles se retrouver dans le même ouvrage et conserver leur crédibilité ?

Oui, elles le peuvent, mais l’auteur doit d’abord arriver à un jugement personnel sur certains sujets philosophiques.

Des exemples

La série de la Ballade de Pern, d’Anne McCaffrey, mélange des tendances science-fiction et fantasy : des humains s’installent sur une autre planète et se reproduisent par sélection des espèces ou conçoivent génétiquement la faune locale ; puis leurs descendants vivent dans une société quasiment médiévale avec des donjons, des guildes, des serfs, une classe de guerriers et des dragons télépathes.

Perdido Street Station de China Miéville a atteint le tour final de scrutin pour le World Fantasy Award de 2001. L’histoire inclut de la magie, ou tout du moins des phénomènes biologiques ou physiques qui paraissent magiques pour ceux qui ne les comprennent pas. Des créatures étranges de toutes sortes abondent dans tous les recoins de l’univers du roman, des personnes-mantes aux araignées géantes venues d’un univers alternatif infernal. Et pourtant le protagoniste est un scientifique, qui certes travaille avec des technologies de fin 19ème mais est néanmoins à la pointe de la connaissance en ce qui concerne la compréhension de son monde.

La Trilogie martienne de Kim Stanley Robinson, qui est de la SF à peu près aussi pure que la SF peut-être, contient des chapitres du point de vue du "petit peuple rouge" qui vit dans des tas de poussière et essaie de parler aux grandes personnes venues sur leur planète. Le roman parle aussi des contes du "Grand Homme", un personnage folklorique similaire à Paul Bunyon et Pecos Bill [1]

Sur Babylon 5, on peut rencontrer les Technomages, un peuple dont les technologies de haut niveau furent développées sur le modèle des illusions et autres formes magiques. Et bien entendu, X-Files juxtaposait fréquemment des phénomènes et façons de penser magiques et scientifiques, souvent jusqu’à les mettre en conflit direct l’un avec l’autre.

Les questions essentielles

Comme avec n’importe quelle autre approche sortant des conventions lorsque l’on écrit dans un genre, il faut se demander pourquoi nous le faisons. La plupart des histoires de genre appartiennent soigneusement à une catégorie, soit science-fiction soit fantasy. Est-ce que nous les combinons parce que l’on croit la technique compliquée et que cela impressionnera le lecteur ? Sommes-nous simplement insuffisamment compétent à notre art pour mener à bonne fin l’histoire dans un univers seulement scientifique ou magique ? Ce ne sont pas de bonnes raisons. Alors pourquoi pourrait-on combiner des éléments de fantasy et de science-fiction dans une histoire ?

Prenez un moment et essayez de répondre aux questions suivantes.

- Qu’est-ce que la magie ? La façon de penser magique ? Quels problèmes résout-elle, ou échoue-t-elle à résoudre, dans l’intrigue ?

- Qu’est-ce que la science ? La façon de penser scientifique ? Quels problèmes résout-elle, ou échoue-elle à résoudre, dans l’intrigue ?

- Pensez-vous qu’une de ces façons de penser est meilleure que l’autre ? Pourquoi ? Quelle est l’opinion de vos personnages ? Pourquoi ?

- Pensez-vous que certains problèmes soient plus susceptibles à un mode de pensée qu’à l’autre ? Pourquoi ? Quelle est l’opinion de vos personnages ? Qu’est-ce qui les fera changer d’avis pendant l’histoire ?

- Est-ce que certaines personnalités ont plus de facilité à faire face au monde en termes magiques ou scientifiques ? Si un personnage change d’avis quant à l’efficacité de la façon de penser magique ou scientifique, comment leur personnalité va-t-elle changer ?

Après avoir médité sur ces questions, nous devrions savoir s’il nous est nécessaire d’insérer à la fois des éléments magiques et scientifiques dans notre histoire pour qu’elle fonctionne. Nous devrions aussi avoir une vision plus claire de ce que nous voulons faire avec ces éléments. Pensons désormais à la manière dont nous allons travailler avec eux.

Harmonies

Ton

Nous utilisons souvent une prose riche pour décrire des mondes magiques, pour transmettre un sens des arcanes ou de la possibilité de leur existence. Aussi, nous souhaitons parfois communiquer un sens de l’esthétique accru : un dragon majestueux, une reine impérieuse, un pendentif chatoyant, et ainsi de suite. D’un autre côté, dans une histoire parlant des sciences physiques ou sociales, nous utilisons plutôt une prose plus précise et succincte pour transmettre un sens du fonctionnel et donner l’impression que nos extrapolations sont possibles.

Voici quelques façons d’unifier le ton de votre histoire :

- Soyez très attentif à la voix du ou des personnages desquels vous utilisez le point de vue. Est-ce que leur façon de parler provient de leur culture et de la façon dont ils perçoivent le monde ? Est-ce qu’elle reste cohérente tout au long de l’histoire, pour ne se modifier que lorsque le personnage vit un changement profond ? Garder une constance dans la voix des personnages peut réconcilier les différences dans la voix de la narration. Dans le roman sur la chamane qui voyage dans le temps, par exemple, le vocabulaire et la façon de voir le monde de la chamane pourraient être le point de référence du lecteur tandis que la voix de la narration décrit à la fois des rituels chamaniques et des études écologiques sur le nombre des oiseaux.

- Développez une métaphore qui résume le thème de l’histoire. Dans Mars la verte et Mars la bleue, Nirgal, le personnage de Kim Stanley Robinson, voit le monde comme "le blanc et le vert." Le "blanc" est le rationnel et l’absolu, tandis que le "vert" est l’intuition et la force infinie de la vie et de la croissance. Cette image apparaît à maintes reprises pour décrire différents événements.

Systèmes

Si quelqu’un pratique la méthode scientifique, c’est parce qu’il croit qu’elle fonctionne. La même chose est valable pour ceux qui pratiquent la magie. Quelles que soient vos croyances personnelles à propos de la science et de la magie, vos personnages doivent avoir des raisons crédibles pour expliquer ce qu’ils font. Par exemple, notre chamane peut fumer une herbe pour entendre le battement de la terre, parce que ce qu’elle entend sous influence correspond généralement aux succès subséquents de la tribu quant à trouver de la nourriture. Le Dr. Dana Scully persiste à faire des autopsies parce que ses découvertes quant à la cause du décès correspondent généralement à d’autres faits de l’enquête.

Si l’un des deux éléments, entre magie et science, est nettement plus faible que l’autre, alors l’histoire ne tiendra pas debout. Considérez ces quelques points :

- L’un de vos personnage parait-il stupide à persister dans ses croyances ?

- Avez-vous fait suffisamment de recherches sur la science pour que, bien que tout ce que vous sachiez n’apparaît probablement pas dans l’histoire, le roman soit crédible aux yeux du lecteur ? (Si possible, faites lire votre travail à au moins un fan de science-fiction pour obtenir des retours)

- Avez-vous développé un système magique complet et qui a une cohérence interne suffisante pour que le lecteur y croie, ou au moins comprenne pourquoi vos personnages y croient ? (Une nouvelle fois, essayez d’obtenir des retours de la part d’un fan de fantasy, pour savoir si vous y êtes parvenu)

Thème

Idéalement, les histoires devraient essayer de nous raconter quelque chose que nous ne savons pas déjà. Particulièrement quand nous combinons des genres de façon inhabituelle, nous devrions le faire pour explorer des thèmes qui ne sont pas accessibles qu’à travers des éléments de science-fiction ou des éléments de fantasy.

Nous avons déjà médité sur certaines des questions auxquelles notre histoire devrait répondre. Maintenant, nous allons considérer quelques techniques qui peuvent nous aider à les adresser dans notre intrigue.

- Vous pouvez retourner chez vous, mais "chez vous" aura l’air différent. Notre chamane a probablement le mal du pays à un point incroyable, mais si elle parvient à retourner chez elle après avoir vécu des aventures dans notre temps, son pays d’origine lui paraîtra peut-être banal, fade et ennuyeux sans Internet et le câble. Elle observera probablement sa culture d’origine avec un œil critique, affûté par la perspective et l’expérience. Faire quitter son pays à un personnage puis l’y faire revenir offre une opportunité d’adresser ces questions qui entourent la valeur relative de la façon de penser magique contre la façon de penser scientifique.

- Peu importe où vous allez, les défis sont les mêmes. Les sociétés à chamanes les obligent typiquement à faire un sacrifice important et/ou à subir des épreuves pour obtenir cette position sacrée. De façon similaire, les visionnaires de la Terre post-industrielle doivent renoncer à beaucoup : ils prennent le risque d’être assassinés, emprisonnés, ils peuvent être exclus de leur famille ou communauté, ils peuvent être privés de popularité et de récompenses financières. Si elle décide d’essayer de sauver l’environnement du 21ème siècle, notre chamane pourrait avoir à subir un équivalent moderne de son rite initiatique. Répéter de telles épreuves offre l’opportunité de comparer la capacité de ce personnage à gérer la façon de penser magique, et la façon de penser scientifique.

* * *

Avec une idée claire des raisons pour lesquelles vous mélangez magie et science, vous pouvez harmoniser les tons, systèmes et thèmes pour concocter une histoire délicieuse et très réussie, une histoire qui interpelle nos opinions préconçues sur le fonctionnement du monde dans la littérature de genre.

Les textes de science-fiction et de fantasy de Paula L. Fleming sont apparus dans nombre de publications, y compris gothic.net, Tales of the Unanticipated #20, #22 et #24, l’anthologie Such a Pretty Face de Meisha Merlin, et Extremes 3 : Terror on the High Seas de Loves Wolf Publishing. Diplômée de l’atelier Clarion (Clarion Workshop), Paula s’occupe d’une liste des marchés de fiction spéculative (mise àjour tous les trois mois). De jour, elle s’occupe des ressources humaines àla Wedge Community Co-op. Pour l’aider, elle a trois gros chiens, deux chats et un mari.

Cet article a d’abord été publié en anglais sur Writing-World.com - http://www.writing-world.com/.

Notes

[1] NdT : Ces deux personnages font partie du folklore américain. On dit de Paul Bunyon qu’il est un bûcheron d’une taille gigantesque et d’une force titanique, tandis que Pecos Bill est un cowboy ayant accompli des exploits surhumains en faisant preuve d’un courage et de prouesses extraordinaires.

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