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Quatre façons de rendre son cadre vivant

Par Moira Allen

mardi 25 juillet 2006.

Traduction par Leippya


Le diable, dit-on, se niche dans le détail. Il en est de même pour une grande partie du travail de l’écrivain. Trop peu de détails et vos personnages errent dans l’équivalent narratif d’une scène vide. Trop, et vous vous retrouvez avec de grands blocs de description par dessus lesquels le lecteur est tenté de sauter et de simplement survoler à la recherche de l’action.

Pour mettre en place votre scène, il est important de choisir les détails les plus justes et les plus vivants possibles. Il est tout aussi important de présenter ces détails de façon à captiver le lecteur. Les quatre techniques suivantes peuvent aider.

1) Révéler le cadre par le mouvement.

Dévoilez votre description au fur et à mesure que votre personnage se déplace à travers la scène. Considérez quels détails il remarquerait immédiatement, et lesquels pénétreraient peut-être plus lentement. Faites découvrir ces détails à votre personnage de façon interactive.

Supposez par exemple que votre héroïne, une orpheline aux origines modestes, entre dans le manoir d’un millionnaire. Que remarquerait-elle en premier ? Comment réagirait-elle à son environnement ?

Faites-lui observer comme le somptueux tapis Persan a l’air doux sous ses pieds, comme il amortit le bruit de ses pas, comme elle est tentée d’enlever ses chaussures. Ne nous dites pas que le canapé est moelleux avant qu’elle ne s’enfonce véritablement dedans. Laissez-la sentir le parfum des fleurs de serre qui remplissent un vase en cristal.

Utilisez des verbes actifs pour présenter la scène. Au lieu de dire "une lourde table en marbre dominait la pièce", forcez vos personnages à en faire le tour. Au lieu d’expliquer que "la lumière scintillait et dansait du haut du chandelier de cristal", faites cligner des yeux à votre personnage sous le déploiement prismatique.

Se déplacer "à travers" une description casse les détails en petites pépites et les éparpille dans toute la scène, de façon à ce que le lecteur ne se sente jamais dépassé ou ennuyé.

2) Révéler le cadre par le niveau d’expérience d’un personnage.

Ce que votre personnage sait va directement influencer ce qu’il voit. Votre orpheline ne sait peut-être pas si le tapis est Persan ou Marocain, ou même s’il est en laine ou en polyester. Si ces détails sont importants, comment pouvez-vous les communiquer ?

Vous pourriez, bien sûr, laisser l’arrogant propriétaire du manoir faire remarquer l’ignorance de votre héroïne. Ou vous pourriez écrire la scène du point de vue du propriétaire. Gardez néanmoins à l’esprit que différents personnages percevront le même environnement de façons très différentes, selon son caractère familier (ou pas).

Imaginez, par exemple, que vous décriviez une section de littoral balayée par les vents du point de vue du fils d’un pêcheur local. A quoi fait-il attention ? Il pourrait prévoir le temps du lendemain ou les conditions de navigation à partir de la couleur du ciel ou des changements du vent. Quand il aperçoit des oiseaux marins tournoyer entre les nuages, il ne voit pas que des "goélands" mais des sternes, des fous de Bassan et des pétrels — facilement identifiables grâce à la forme de leurs ailes ou leur façon de voler.

Les choses qu’il ne remarquerait sans doute pas sont tout aussi importantes. Étant si familier avec l’endroit, il accorde probablement peu d’attention aux formes fantastiques des rochers, ou aux morceaux de bois noueux jonchant le sable. Il se rend à peine compte de la morsure du vent à travers son pull tricoté en points de torsade, et il est inconscient de la puanteur des amas de varech décomposé qui se sont échoués sur la plage.

Maintenant supposez qu’un gosse de riche arrivé de la grande ville se traîne péniblement sur cette même plage. Enfoncé jusqu’aux dents dans le dernier manteau de chez Northwest Outfitters, il tremble encore — et ne comprend pas comment le type à côté de lui fait pour ne pas mourir de froid. Il n’arrête pas de trébucher contre des morceaux de bois à moitié enterrés, et craint que le sable n’abîme ses Doc Martens. Vu la façon dont les vagues battent contre la plage, il se dit qu’une tempête exceptionnelle se prépare. La simple pensée du mauvais temps lui donne la nausée, tout comme l’odeur fétide des algues pourrissantes (il n’y pense pas comme à du "varech") et du poisson mort.

La façon dont chacun de ces personnages perçoit la plage est profondément influencée par leur expérience. "Familier", cependant, n’implique pas forcément une attitude positive, tout comme "inconnu" ne veut pas nécessairement dire "négatif". Votre enfant de la ville pourrait, en fait, voir la plage comme un lieu de vacances idyllique — rocailleux, romantique, isolé, l’endroit parfait pour le faire se sentir proche de la nature. Le fils du pêcheur, de son côté, pourrait haïr l’océan, se sentant piégé par les caprices du vent et du temps. Ce qui nous amène au point suivant :

3) Révéler le cadre par l’humeur de votre personnage.

Ce que l’on voit est profondément influencé par ce que l’on ressent. Il devrait en être de même pour nos personnages. Filtrer une scène à travers les sentiments d’un personnage peut profondément influencer ce que le lecteur "voit".

Supposez, par exemple, que votre héroïne — une jeune fille audacieuse en vacances — flâne dans un coin de lande britannique typique. Au travers des ajoncs en fleurs, elle aperçoit les ruines d’une tour de guet ancienne, à peine plus qu’un amas de pierres couronnant la colline voisine (ou "butte", selon son guide touristique).

La tentation d’explorer est irrésistible. Donnant de sa canne des petits coups aux têtes de pissenlit, notre héroïne grimpe la pente, respirant le parfum de l’herbe et du trèfle, admirant les motifs du lichen sur les rochers de granit. Enfin, réchauffée par le soleil et par ses efforts, elle s’appuie contre une pierre et regarde les nuages dériver comme des moutons duveteux conduits par un vent doux. Un faucon pousse un cri perçant d’une vallée toute proche, plaisant rappel de la distance qui la sépare du lycée crasseux qu’elle méprise tant.

Une vision plaisante ? A l’heure qu’il est, votre lecteur est peut-être en train d’envisager un voyage au Dartmoor. Mais que se passerait-il si votre héroïne était d’une humeur différente ? Si elle avait été séparée de son groupe et s’était perdue ? Peut-être qu’elle a commencé à traverser la lande parce qu’elle a cru apercevoir une habitation — mais à sa grande consternation a découvert qu’il s’agissait seulement de ruines grises, à donner la chair de poule. Les pierres éparpillées de la tour, à moitié enterrées sous la mauvaise herbe et les ronces enchevêtrées, lui font penser à des inscriptions de pierres tombales devenues sans visage avec le temps. Le vide silencieux parle de secrets, d’une désolation où aucun intrus n’est le bienvenu. Bien que le soleil soit haut, les nuages courant dans le ciel jettent un drap mortuaire sur le paysage, et le cri sinistre et solitaire d’un oiseau invisible lui rappelle à quel point elle est loin de chez elle.

Quand cette voyageuse regarde les ajoncs, elle voit les épines, pas la floraison. Quand elle regarde les nuages, elle ne voit pas de formes fantaisistes, seulement la menace de la pluie. Elle veut se sortir de cette situation — tandis que votre lecteur est tenu en haleine, s’attendant à voir quelque chose de bien pire apparaître dans l’horizon de ce personnage !

4) Révéler le cadre par les sens.

La façon dont un personnage perçoit son environnement va aussi influencer et être influencée par les sens. Notre randonneuse égarée, par exemple, ne fera peut-être pas attention à la senteur de l’herbe, mais elle sera vivement consciente du vent froid. Notre gamin de la ville remarque des odeurs que le fils du pêcheur ignore, tandis que ce dernier détecte des variations subtiles dans la couleur du ciel qui ne veulent rien dire pour le premier.

Différents apports sensoriels provoquent différentes réactions. Par exemple, les informations visuelles sont généralement traitées au niveau cognitif : nous prenons des décisions et agissons en fonction de ce que l’on voit. Lorsque l’on décrit une scène en termes d’apports visuels, on fait appel à l’intellect du lecteur.

Les émotions, par contre, sont souvent influencées par ce que l’on entend. Pensez aux effets d’un de vos morceaux préférés, le son de la voix d’une personne, le sifflet d’un train. Dans une conversation, le ton de la voix est un indicateur plus fiable de l’humeur et du sens que les mots par eux-mêmes. Les sons peuvent nous faire frémir, trembler, sursauter — ou nous détendre et faire sourire. Les scènes qui incluent des sons — des ongles raclant un tableau, les aboiements lointains d’une meute — ont plus de chance de susciter une réponse émotionnelle.

Les odeurs possèdent une capacité remarquable à rappeler des souvenirs. Bien que tout le monde ne soit pas directement ramené à l’enfance par "l’odeur du pain en train de cuire", nous avons des souvenirs olfactifs qui peuvent déclencher une scène ou le souvenir d’un événement ou d’une personne. Pensez au parfum de quelqu’un, la senteur du cuir dans une voiture neuve, l’odeur de chien mouillé. Puis décrivez cette odeur de manière frappante et votre lecteur y est.

Le toucher cause une réponse sensorielle. Faites sentir à votre lecteur la fourrure soyeuse d’un chat, la rugosité des pierres d’un château, la chaleur piquante de la chemise en flanelle de Papa. Évoquez comme les pieds de votre héroïne sont douloureux, comme le vent lui donne la chair de poule, comme les épines des ajoncs font couler le sang.

Pour terminer, il y a le goût, très proche de l’odorat dans sa capacité à évoquer des souvenirs. Le goût, cependant, est peut-être le sens le plus difficile à incorporer dans le cadre ; souvent il n’y a tout simplement pas sa place. Votre héroïne ne va pas se mettre à lécher les pierres du château, et ce n’est pas l’heure du déjeuner. Comme dans la vie réelle, les "images" du goût devraient être utilisées avec modération et pertinence.

Les descriptions ont pour objectif de créer un ensemble bien conçu qui fournit une toile de fond parfaite pour vos personnages — et qui reste dans le fond, sans submerger la scène ou interrompre l’histoire. Dans la vie réelle, nous explorons notre environnement par nos actions, nous en faisons l’expérience par nos sens, nous le comprenons (ou pas) à travers nos connaissances et expériences, et nous y répondons avec nos émotions. Quand vos personnages font de même, vous poussez vos lecteurs à continuer de tourner les pages — et pas seulement dans l’attente que quelque chose d’intéressant se passe !

Moira Allen, éditrice de Writing-World.com, a publié plus de 350 articles et chroniques, ainsi que sept livres, y compris How to Write for Magazines, Starting Your Career as a Freelance Writer, The Writer’s Guide to Queries, Pitches and Proposals, et Writing.com : Creative Internet Strategies to Advance Your Writing Career (tous en anglais). Elle collabore en tant qu’éditrice pour le magazine The Writer et a écrit pour le Writer’s Digest, Byline, et diverses autres publications sur le thème de l’écriture. En plus de Writing-World.com, Elle héberge le site de voyage TimeTravel-Britain.com, The Pet Loss Support Page, et le site de photographie AllenImages.net. Elle peut être contactée via sa page de contact (messages en anglais).

Cet article a d’abord été publié en anglais sur Writing-World.com - http://www.writing-world.com/.

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