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Faire face aux refus

Par Moira Allen

vendredi 28 juillet 2006.

Traduction par Leippya , Ness


Les lettres de refus. Y a-t-il quelque chose de pire que ces lettres pré-imprimées humiliantes, trop légères pour vous faire croire que l’enveloppe que vous avez vous-même timbrée et libellée à votre adresse pourrait contenir une acceptation, trop impersonnelles pour vous expliquer pourquoi ? Les lettres de refus sont la bête noire de l’écrivain, l’insinuation persistante selon laquelle nous ne sommes pas à la hauteur. Que pouvons-nous en faire ? Comment vivre avec elles ? Comment faire en sorte qu’elles s’arrêtent ?

Malheureusement, les lettres de refus font partie du métier d’écrivain. Pas seulement de celui d’écrivain débutant, non plus ; les écrivains expérimentés en reçoivent également (il est vrai que l’éditeur de Stephen King ajoute sans doute une petite note sympathique... Enfin, je dois admettre que je ne suis pas sûre que Stephen King se fasse encore refuser de nos jours. Mais d’un autre côté, où pensez-vous qu’il ait puisé l’inspiration pour toute cette horreur ?)

L’une des étapes les plus importantes que vous pouvez franchir en tant qu’écrivain est d’apprendre comment faire face aux refus, comment comprendre ce qu’ils signifient pour votre carrière, et comment continuer.

Poser des limites

Les écrivains sont des âmes sensibles. Si nous ne l’étions pas, nous trouverions une autre occupation. Malheureusement, cette sensibilité est également ce qui nous rend le plus vulnérable aux refus.

La première étape pour gérer les refus est donc d’apprendre à faire la distinction entre vous-même et votre travail. Vous pouvez vous épancher de tout votre cœur et de toute votre âme dans vos écrits, mais afin de survivre en tant qu’écrivain, vous devez également être capable de mettre de la "distance" entre vous et votre création. Votre texte peut être tel un enfant à vos yeux mais comme chaque enfant, il doit s’émanciper et réussir ou échouer selon ses propres mérites. Si vous ne pouvez pas développer ce sens des limites, vous finirez par devenir fou — et tout simplement par arrêter d’essayer. La réussite deviendra impossible si vous ne pouvez pas supporter la douleur de l’échec.

Mais POURQUOI ?

Vous avez probablement déjà entendu dire que les éditeurs qui refusent votre travail ne vous rejettent pas vous, et c’est la vérité. Cependant, ils ne refusent peut-être pas votre travail non plus. Le manque de qualité n’est qu’une des raisons derrière les refus. Il y en a beaucoup d’autres. Alors que la phrase typique "Ne correspond pas à nos besoins éditoriaux du moment" ne vous dit pas pourquoi un texte a été refusé, cela a pu être pour n’importe laquelle des raisons suivantes :

  • Un écrit similaire est déjà prévu. "Similaire" peut simplement signifier sur le même sujet — par exemple, si vous soumettez un article parfait sur Antigua à un magazine de voyages et qu’ils ont déjà un autre article sur Antigua sous la main (même si celui-ci est complètement différent du vôtre), ils ne pourront pas en accepter un autre.
  • Un écrit similaire a déjà été attribué. Les grands esprits se rencontrent vraiment, et vous seriez surpris de voir le nombre de fois où deux écrivains ou plus se penchent sur un même sujet.
  • Un écrit similaire (ou sur le même sujet) a été publié dans les deux ou trois dernières années (beaucoup de publications ne répéteront pas un sujet avant ce délai).

Il est également possible d’écrire un article excellent qui ne concordera pas vraiment avec les goûts de l’éditeur, en matière de style, de ton, d’approche, de perspective, de point de vue ou même de longueur (on a une fois refusé un de mes textes sous prétexte qu’il était "trop court". Après lui avoir ajouté 300 mots, il a été accepté). Encore une fois, ceci ne veut pas dire que votre article était mauvais ; cela veut dire que vous y étiez presque, mais pas tout à fait.

Cela m’amène à la raison principale des refus : la quantité pure et simple. Si un éditeur peut accepter cinq articles par mois dans une pile de 500, il n’y a pas que les "mauvais" articles qui sont refusés. Des articles tout à fait valables le seront également, simplement parce que l’éditeur ne peut pas tout acheter. Votre article peut être parfait à tous points de vue, mais être tout de même renvoyé simplement parce qu’il était sixième dans la pile des "peut-être".

Les "bonnes" lettres de refus

Existe-t-il de "bonnes" lettres de refus ? Absolument. N’importe quelle lettre de refus offrant des informations concrètes est "bonne", parce qu’elle vous aide à comprendre la raison de ce refus. Certains magazines offrent une lettre présentée sous forme de liste, énumérant les nombreuses raisons possibles d’un refus et cochant celle qui s’applique à votre texte. Découvrir que le sujet que vous aviez choisi a déjà été confié à quelqu’un d’autre est beaucoup plus réconfortant que d’assumer que l’éditeur trouvait votre article absolument nul.

Toutefois, encore mieux que les listes avec cases à cocher, il y a les lettres de refus incluant une note personnelle de quelque sorte que ce soit. Même la plus petite des notes griffonnée à la hâte montre que l’éditeur estimait assez votre texte pour répondre personnellement, plutôt que de gribouiller "Non" sur le rabat de l’enveloppe et de la passer à son assistant. Chérissez ces petites notes, elles signifient que vous faites bonne impression.

Encore plus haut sur la liste des refus "positifs", il y a le "n’hésitez pas à réessayer". Quand un éditeur vous demande de retenter votre chance en soumettant un autre texte, croyez-le : aucun éditeur ne dira cela à moins qu’il ne le pense. C’est souvent le résultat d’une soumission qui a raté de peu l’acceptation, pour une des raisons listées ci-dessus. Assez souvent, l’éditeur souhaite sincèrement pouvoir acheter votre texte, mais ne le peut pas — et ne veut pas non plus perdre l’opportunité de vous mettre la main dessus en tant que collaborateur. Quand on vous demande de réessayer, réessayez !

Être honnête avec soi-même

Bien qu’il puisse y avoir des douzaines de raisons derrière un refus qui n’ont rien à voir avec la qualité d’un texte, un écrivain doit également être prêt à se demander honnêtement si, en réalité, le problème ne vient pas justement de la qualité. Quand nous écrivons, nous sommes souvent tellement impliqués dans notre texte — tellement proches de ce que nous avons écrit — qu’avoir un jugement objectif de sa qualité devient difficile. Souvent, notre travail n’est pas aussi bon que nous le pensions — ou bien ne correspondait pas aux besoins du marché ciblé.

Quand j’enseigne l’écriture, je suis impressionnée par le nombre d’étudiants qui s’attendent à vendre leur premier texte à Cosmopolitan ou Woman’s Day. Il n’y a rien de mal à rêver grand. Il n’y a également rien de mal à se préparer à ces rêves. L’échec, ce n’est pas le fait de viser Cosmopolitan et de rater. L’échec, c’est de ne pas prendre les mesures nécessaires pour atteindre son but — peut-être pas aujourd’hui, peut-être pas cette année, peut-être pas l’an prochain non plus, mais un jour.

L’écriture évolue avec le temps. Pour la plupart d’entre nous, c’est un talent, pas un don ; et les talents se raffinent avec le temps. Bien sûr, il y a quelques rares "prodiges" qui vont mettre au point le bestseller parfait dès la première fois où ils prendront un stylo — tout comme il y a des musiciens "prodiges" qui jouent parfaitement bien la première fois qu’ils prennent un violon. Pour nous autres, la perfection s’obtient en persévérant, et par un entraînement sans fin qui pourrait, dans un premier temps, pousser les gens qui nous entourent à se boucher les oreilles et à grimacer.

La réalité de l’écriture, c’est que vous pensez être plutôt bon, quand vous commencez. Après un an, si vous avez écrit régulièrement, vous porterez sans doute un autre regard sur vos premiers efforts, et vous vous demanderez ce que diable vous aviez bien pu voir en eux. Après avoir écrit pendant cinq ans, vous regarderez sûrement vos chef-d’œuvres de la première année en vous demandant pourquoi vous ne les aviez pas brûlés sur le champ (c’est un processus sans fin : comme vous continuez à vous améliorer, vous penserez la même chose dans 20 ans de ce que vous aurez écrit dans 19 ans). Pour certains écrivains, ce scénario a l’air déprimant — mais l’idée de ne jamais pouvoir s’améliorer serait bien plus déprimante !

Écrire tient du processus schizophrénique. Nous devons être capables de regarder chaque texte que nous produisons et nous dire, honnêtement : "Ceci est le mieux que je puisse faire". En même temps, nous devons également être capables de dire — tout aussi honnêtement — "Je peux faire mieux". Ces deux déclarations sont vraies. Ce que vous écrivez aujourd’hui est le mieux que vous puissiez faire — aujourd’hui. Demain, très certainement, vous ferez mieux. Mais seulement si vous n’arrêtez pas d’écrire aujourd’hui.

Il a coulé. Remettez-vous-en.

Quelqu’un a créé un Tee-shirt avec une image du Titanic sur le devant, et à l’arrière, les mots "Il a coulé. Remettez-vous-en." On peut dire la même chose des refus de manuscrits.

Il est revenu. Remettez-vous-en. Ou plus précisément, habituez-vous à l’idée. Parce que si vous pratiquez votre art, vous allez recevoir beaucoup de lettres de refus, avec le temps.

"S’habituer" aux refus ne veut pas dire que le refus perd un jour de son piquant. Ce n’est pas le cas. Non pas que ce soit une mauvaise chose, d’ailleurs : je suppose que le jour où le refus cessera de faire mal sera également le jour où l’on aura perdu sa passion pour l’écriture. La douleur n’est pas une mauvaise chose. Elle signifie simplement que cela nous tient à cœur.

En même temps, il y a des choses que nous pouvons faire pour atténuer la piqûre. La prochaine fois que votre texte revient accompagné d’une de ces horribles lettres, essayez l’une des choses suivantes :

  • Faites une fête de refus. Célébrez le refus de votre texte avec une pizza, une coupe de glace, une séance de cinéma. Vous avez le droit de faire la fête : il faut être un écrivain pour voir un de ses textes refusés (cela n’arrive jamais aux rêveurs).
  • Commencez un classeur de lettres de refus. En plus d’être utile pour les impôts (cela prouve au fisc que vous essayez de diriger des affaires), il peut également servir par la suite, quand vous serez célèbre. Ainsi, vous pourrez dire, avec un ton théâtralement suffisant, "Eh bien, j’ai essuyé 48 refus avant que mon histoire/mon roman/mon article ne soit accepté par les Editions Crésus..."
  • Envoyez votre texte au prochain éditeur sur votre liste.
  • Ecrivez quelque chose d’autre. Encore mieux, écrivez quelque chose d’autre à la minute où votre dernier texte est terminé et envoyé. Le refus fait moins mal quand l’esprit est occupé par un projet neuf et donc plus intéressant.

Au début de cet article, j’ai demandé s’il y avait quelque chose de pire qu’une lettre de refus. La réponse est oui. Pire qu’une lettre de refus, il y a le fait de n’avoir jamais rien écrit qui puisse être refusé.

Moira Allen, éditrice de Writing-World.com, a publié plus de 350 articles et chroniques, ainsi que sept livres, y compris How to Write for Magazines, Starting Your Career as a Freelance Writer, The Writer’s Guide to Queries, Pitches and Proposals, et Writing.com : Creative Internet Strategies to Advance Your Writing Career (tous en anglais). Elle collabore en tant qu’éditrice pour le magazine The Writer et a écrit pour le Writer’s Digest, Byline, et diverses autres publications sur le thème de l’écriture. En plus de Writing-World.com, Elle héberge le site de voyage TimeTravel-Britain.com, The Pet Loss Support Page, et le site de photographie AllenImages.net. Elle peut être contactée via sa page de contact (messages en anglais).

Cet article a d’abord été publié en anglais sur Writing-World.com - http://www.writing-world.com/.

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