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L’écrivain en action : lois newtoniennes appliquées àl’écrivain moderne

Par Jim C. Hines

lundi 1er octobre 2007.

Traduction par Leippya


Alors que je parcours les journaux en ligne consacrés à l’écriture devenus si populaires ces dernières années, deux choses me viennent à l’esprit. La première est une question : Qu’est-ce que je fais là sur Internet alors que je devrais être en train d’écrire ? La seconde est un thème récurrent dans bien des journaux, ainsi que dans les conversations que j’ai eues avec d’autres écrivains au fil des années : Comment rendre son écriture plus productive ?

Cette question s’impose, à la vue de ces écrivains qui chaque année produisent suffisamment de manuscrits pour dépeupler une petite forêt. Tout en menant ma propre lutte pour rester productif, j’ai tenté d’examiner ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, pour mon propre bénéfice et celui des autres. J’ai découvert... Isaac Newton. Avec seulement quelques petits changements dans le choix des mots, Newton aurait pu écrire ses trois lois à propos du processus d’écriture.

Loi 1 : Un écrivain au repos tend à rester au repos, et un écrivain en mouvement tend à rester en mouvement, à moins qu’une force extérieure n’agisse sur lui, et ne le contraigne à changer d’état.

Beaucoup d’écrivains, y compris moi-même, se découvrent une liste interminable de corvées qui doivent absolument être accomplies avant qu’ils ne puissent travailler sur leur histoire. L’aspirateur doit être passé, la vaisselle n’est pas faite, il faut nourrir les chats... et quand nous nous installons finalement devant l’ordinateur, il y a les emails à vérifier, des journaux à lire, et "encore juste une partie" de démineur à faire.

Plus nous prolongeons le délai, et plus il est difficile de se mettre au travail. Après avoir terminé le premier jet d’un roman en novembre dernier, j’ai pris une semaine de repos pour "récupérer." Honnête, n’est-ce pas ? Un roman représente beaucoup d’efforts, et même les athlètes olympiques ont besoin de souffler après une épreuve. J’ai pris une deuxième semaine de repos parce que "j’avais besoin de prendre mes distances par rapport au livre avant d’entamer les révisions." Je voulais être certain de pouvoir le lire avec objectivité. La troisième semaine, c’était Noël, donc naturellement je n’ai rien écrit. La quatrième semaine, je n’ai même pas cherché d’excuses. Je me suis dit, "Je suis fatigué, et je m’en occuperai plus tard."

Quand je me suis finalement assis pour m’occuper des révisions début janvier, j’avais plus d’un mois d’inertie qui jouait contre moi. Les premiers jours furent vains, et il me fallut une semaine avant d’atteindre un bon rythme qui me permettait de réviser un chapitre par jour. À quel point continuer aurait-il été plus simple si j’avais persisté à écrire quelque chose tous les jours — une nouvelle, un article, même une page de charabia en écriture libre — n’importe quoi pour conserver mon dynamisme ?

Ce qui nous amène à la seconde partie de cette loi. Une fois que vous avez commencé à écrire, l’élan peut en fait vous aider à continuer. J’ai eu l’opportunité d’écouter Kevin J. Anderson il y a deux ans. Auteur incroyablement prolifique, Kevin a parlé d’atteindre la barre du million de mots, le point où un écrivain produit un million de mots en une seule année. Cela équivaut à dix romans.

Après avoir surmonté une petite poussée de jalousie brute, j’ai commencé à comprendre. Plus vous écrivez, plus vous gagnez d’élan, et plus il devient facile d’augmenter encore plus cette productivité.

Loi 2 : La qualité est égale au produit du talent et de l’effort.

Il y a des gens qui prétendent que le talent est tout. Il y a en a d’autres qui prétendent que le talent n’a aucune importance comparé au dévouement et aux efforts. Pour le moment, assumons que de la même façon que tout objet a une masse mesurable, tout écrivain possède une certaine quantité de talent, aussi grande ou petite soit-elle.

Puisqu’il nous est impossible de demander plus de talent à notre fabricant, le talent est assimilable à une constante. Nous pouvons décider du volume d’efforts que nous allons investir dans l’écriture. Dans tout groupe de personnes, certains doivent fournir plus de travail que d’autres. Je le sais, parce que l’écriture a toujours été une de mes pires matières.

Ce n’est simple pour personne. C’est vrai, nous entendons tous des histoires sur la fille géniale qui a vendu son premier bestseller à l’âge de quatorze ans. De même, il m’est arrivé de maugréer contre certains de mes amis pour qui l’écriture vient si facilement, ceux qui vendaient des histoires à Analog alors que j’en étais encore à collectionner des refus mal photocopiés.

Peut-être ont-ils plus de talent que moi. En fait, c’est probablement le cas pour la plupart d’entre eux. Je ne peux rien faire pour changer cela, alors pourquoi m’en inquiéter ? Si un écrivain peut produire naturellement une prose régulière et fluide pendant que je débite une page et demie de détritus ampoulés, cela veut simplement dire que je dois fournir plus d’efforts. C’est une simple équation. Accroître ses efforts améliore la productivité et les succès, indépendamment du talent de l’écrivain.

Il m’est arrivé de voir comment une profusion de talent pouvait jouer contre un écrivain. Un grand talent requiert moins d’effort pour accomplir le même résultat. Mais quand la demande augmente, la productivité doit augmenter aussi. Ce phénomène m’est apparu le plus clairement lorsque j’enseignais la composition aux première année à l’Université de Eastern Michigan. Les gamins qui avaient le plus de mal à apprendre à écrire à un niveau universitaire n’étaient pas les moins talentueux, mais ceux qui avaient tant de talent qu’ils avaient passé le lycée les doigts dans le nez. Les étudiants habitués à fournir plus d’efforts s’en sortaient plutôt bien.

Ainsi le talent, bien qu’étant une aptitude sympathique à posséder, n’est pas l’ultime mesure du succès d’un écrivain. Tout ce que nous pouvons contrôler, ce sont nos efforts. J’ai la conviction que chacun peut produire un travail brillant et couronné de succès, tant qu’il équilibre l’équation. Une telle qualité nécessitera toujours un niveau de travail équivalent.

Loi 3 : Pour toute action, il y a une réaction d’intensité égale et de sens opposé.

Écrire est difficile. Combien d’entre nous ont entendu "Si tu peux faire autre chose de ta vie, fais-le. Si tu n’es pas obligé d’écrire, abandonne." ? Le succès a un coût, et plus vos buts en tant qu’écrivain sont élevés, plus le prix est important. L’un des coûts les plus considérables n’a rien à voir avec la petite-mais-constante augmentation du prix des timbres, l’argent payé pour ce vieux traitement de texte, ou les factures du thérapeute qui nous aide à surmonter une autre attaque de Déprime-du-Refus. L’un des plus grands coûts est celui du temps.

Le mois dernier, j’avais une longue liste de choses à accomplir. Je voulais faire plus d’exercice. Je voulais faire du volontariat dans une association d’aide d’urgence locale. Je voulais réviser le roman susmentionné et écrire quelques nouvelles. Bien sûr, il me fallait aussi aller au travail pour payer les factures de Noël. Quelque part au milieu de tout cela, j’espérais rendre visite à quelques amis que je n’avais pas vus depuis des mois.

Je suis parti pour tout faire. Cela ne s’est pas produit. A chaque fois que je tentais de faire quelque chose, un autre but se glissait entre les fissures. Si je travaillais sur mes écrits, je ne pouvais pas rendre visite à des amis. Si je jouais au racquetball, je revenais chez moi trop épuisé pour pouvoir travailler sur le roman.

Nous savons tous que ce n’est pas un domaine facile. Toutefois, simplement le savoir n’est pas suffisant. A chaque fois que nous nous installons devant le clavier, dépoussiérons la machine à écrire, ou traînons ce vieux cahier, nous payons un prix. Nous abandonnons quelque chose d’autre que nous aurions pu faire durant ce temps. Ceux qui ne sont pas conscients de ces coûts, qui ne choisissent pas délibérément l’écriture à la place de quelque chose d’autre, ont tendance à finir frustrés et pleins de ressentiment.

Parfois le choix est facile. Devrais-je regarder une rediffusion des Simpsons ou écrire trois pages de plus de mon roman ? Pour moi, le roman a priorité (à moins qu’il ne s’agisse d’un épisode spécial Halloween, bien sûr).

Parfois ce n’est pas si simple. Si je passe une semaine chez des amis en dehors de l’État, il est peu probable que j’écrive durant cette période, mais je ne suis pas non plus disposé à sacrifier tout contact humain.

Je regarde encore les Simpsons de temps en temps, et je rends encore visite à des amis. Cela veut dire que je ne suis pas aussi productif que je pourrais l’être. Parfois je choisis d’écrire au lieu de faire de l’exercice. Cela veut dire que je pèse quelques kilos de plus que ce que je voudrais. Choix, coût. Action, réaction. Tant que nous sommes conscients de ces réactions, nous sommes mieux équipés pour y faire face.

Au fond, le problème se réduit à ceci : nous avons le pouvoir de contrôler notre productivité en tant qu’écrivain. Plus nous écrivons, plus cela devient facile (ceci ne devrait pas être interprété comme signifiant que cela sera un jour facile). Plus nous travaillons dur, plus nous avons de succès — au final. De même, plus nous dévouons d’énergie à l’écriture, plus nous faisons de sacrifices dans d’autres domaines. Après tout, j’aurais pu aller avoir Le Seigneur des Anneaux cet après-midi, au lieu de rester assis ici avec mon ordinateur portable, à écrire cet article.

Jim C. Hines écrit depuis 1995. Il a publié plus de 30 nouvelles dans des marchés tels que Realms of Fantasy, Turn the Other Chick et Sword & Sorceress. Son premier roman fantasy, Goblin Quest, a été publié par DAW Book en novembre 2006 et a déjàété traduit en plusieurs langues (mais pas encore en français, hélas). La parution d’une suite, Goblin Hero, est prévue pour 2007. Il a aussi coédité l’anthologie Heroes in Training avec Martin Greenberg. Jim vit aux Etats-Unis avec sa femme et ses deux enfants, qui sont tous étonnamment tolérants àl’égard de ses étranges habitudes d’écriture. Son site internet est disponible àcette adresse : http://www.jimchines.com.

Cet article a d’abord été publié en anglais sur Writing-World.com - http://www.writing-world.com/.

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1 Message

  • Entièrement d’accord (d’expérience) : il m’est souvent arrivé d’écrire tous les jours pendant des heures et des heures pendant une ou deux semaines, puis d’avoir une rupture, en quelque sorte, un soir, parce que je suis vraiment trop fatiguée pour tenir un stylo, j’ai mal àla tête ou quoi que ce soit. Le lendemain, je me dis que je suis toujours trop fatiguée, etc etc. Les jours se transforment en semaines, les semaines en mois.

    Et même si j’ai parfois des envies subites d’écrire, il est vraiment plus difficile de me remettre àl’écriture après...

    Mais je pense que tout le monde en a fait l’expérience un jour ou l’autre.

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