Jusqu'au dernier mot

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Quand est-ce qu’on arrive : Terminer un roman

Par Will Greenway

jeudi 15 février 2007.

Traduction par Shakes


Terminé. Fini. Complet. Achevé. The End. Voilà quelques-uns des plus beaux mots qu’un écrivain peut prononcer. « Alors, il en est où, ce livre ? » Il est fini ! Si vous n’avez pas encore eu le plaisir de le dire, attendez cet instant avec impatience. C’est réjouissant.

Un problème se pose avant d’y arriver : l’épreuve qui rendra ces mots réels. Pour certains, écrire un livre ne prend que du temps, tout est en assurance et en régularité. Pour d’autres, plus ils avancent et plus la pente semble raide. Plus vous en faites, plus il semble en rester. N’ayez crainte, voici quelques conseils pour vous aider à accomplir votre quête vers l’achèvement.

En tout premier lieu, le combat qu’il vous faut mener pour en finir est psychologique. Dès le départ, l’idée de créer une histoire cohérente de plusieurs centaines de pages peut paraître décourageante. Le problème, c’est qu’à force d’essayer de voir leur projet comme un travail unique et dense, les gens se perdent dans l’ensemble. Cette tâche vous paraît énorme, et c’est alors que vous vous faites du mal. Ce qu’il faut, c’est l’imaginer comme une multitude de petites composantes (les chapitres) qui, une fois réunies, deviennent cette plus grande entité.

Certains vont se mettre à me parler du squelette de l’histoire, du scénario, et d’autres aspects techniques du roman. J’y viendrai. Dans cette série d’articles sur l’écrivain, nous nous occupons du problème de l’acte d’écrire, pas de ses techniques. La série sur l’art d’écrire qui complète ces articles s’occupe en détail de l’intrigue et de la structure de l’histoire. [1]

Concentrez-vous. Imaginez la totalité de votre livre comme une longue série d’escaliers parsemés de paliers. Parfois, au lieu de monter, les escaliers qui mènent à la plate-forme suivante se dirigent vers le bas. Le point culminant du roman est au palier le plus élevé. De là, les escaliers descendent jusqu’à une porte sur laquelle est écrit : dénouement. Pourquoi cette métaphore compliquée ? Il s’agit d’une aide visuelle, et d’une façon de gérer psychologiquement l’intrigue et les éléments de votre histoire.

Toute intrigue possède un pouls, une montée puis une retombée de l’action et de la tension. Du moins, nous espérons qu’elle en a un. Sinon, son cœur s’est arrêté et le patient se meurt sur la table d’opération. Par pouls, nous voulons dire que le rythme, l’action et l’émotion de l’histoire subissent des accélérations puis des ralentissements. L’action qui accélère, ce sont les escaliers qui montent à partir d’un palier. L’exposition, la réflexion et les regroupements, ce sont les escaliers qui en descendent.

Cette métaphore fonctionne à plusieurs niveaux. Imaginez que les sections entre les paliers sont des chapitres. Chaque marche est une scène. Afin d’atteindre votre but, ne vous occupez que d’écrire pour gravir la marche (la scène) devant laquelle vous vous trouvez. Ne vous inquiétez que des forces qui s’exercent sur vos personnages et de leurs interactions. En un sens, les bons romans s’écrivent tout seuls, à condition que vous les laissiez faire. Ce qui les différencie de leurs petits camarades, c’est un sens aigu du but. Plus important encore, un sens éclairé des enjeux et des motivations des personnages. Connaître ces éléments est très important pour vous aider à finir votre histoire.

Prenons un exemple. Nous sommes en présence d’un personnage du nom de Maggie. Au début de l’histoire, sa fille est enlevée. L’objectif est assez simple : retrouver l’enfant. Les enjeux sont évidents : l’échec signifie sa mort. Ce qui est moins évident, ce sont les complications et le contexte qui vont rendre l’histoire intéressante : cela, c’est votre travail. Les plates-formes ou les paliers de votre histoire sont les complications qui se mettent en travers du chemin de Maggie.

J’utilise la métaphore des escaliers car elle correspond aux montées et retombées de l’histoire. Une autre métaphore adéquate est celle de la chaîne. L’étude des actions et des réactions est la meilleure façon de définir l’écriture. Dans notre exemple, une enfant est enlevée. Mettez-vous à la place de sa mère. Que feriez-vous ? Voilà la procédure de mise en hypothèses lancée. Ce n’est pas un effort créatif, mais analytique. Maggie a plusieurs choix : elle peut essayer de résoudre le crime par elle-même, ou bien elle peut appeler la police. Bien sûr, de probables complications l’empêcheront de le faire. Néanmoins, grâce à une quelconque coïncidence ou à un retournement de situation, un inspecteur va découvrir la situation difficile dans laquelle se trouve Maggie. Les scènes (les marches) de votre roman incarnent les éléments de l’histoire.

Dans cet exemple, nous pourrions avoir besoin d’une scène qui montre l’enlèvement de la petite fille. Il nous en faut obligatoirement une où Maggie apprend le rapt. Si l’inspecteur doit se retrouver mêlé à l’histoire, alors une autre est nécessaire pour raconter comment cela se passe. Plus nous analysons la façon dont les problèmes seront résolus, plus les marches (scènes) se font évidentes. Cela ne sera pas le cas pour TOUTES, mais pour beaucoup. En fait, il ne vous est pas nécessaire de connaître tous les détails du livre dès le départ. En avançant, il deviendra évident que certains éléments sont indispensables. Par exemple, le développement d’une histoire d’amour ou d’une tension sexuelle. On peut y ajouter d’autres fils narratifs pour soutenir l’histoire, comme la dernière étape de l’éprouvant divorce de Maggie.

Finir un roman, c’est essayer de ne pas s’épuiser mentalement. Restez plein d’énergie. Si écrire une scène en particulier vous éreinte, regardez la suite de l’histoire et trouvez-en une qui vous intéresse. L’écrire peut souvent se montrer révélateur. Pourvoyez aux besoins de vos personnages. Utilisez toute votre concentration pour vous mettre à leur place et méditer sur leurs réactions. Détendez-vous, et ne paniquez pas si vous vous rendez soudain compte qu’un personnage agit de façon inattendue. C’est bien. Le lecteur ne s’y attendra probablement pas non plus. Soyez simplement préparé à adapter l’histoire ailleurs pour contrebalancer. L’histoire tournera toujours autour des personnages et de ce qu’ils vont faire. Vous n’avez qu’à vous concentrer sur ce qui est en train de se passer pour avancer dans votre roman.

Plus tard, au moment des corrections, vous pourrez vous inquiéter de la pertinence d’une scène. Parfois, elles ne sont pas nécessaires. D’autres fois, à la seconde lecture, on réalise qu’elles ne sont pas suffisantes. Cela fait partie du métier.

Résumons tout ce qui nous aide à terminer un roman. Tout d’abord, essayez de ne pas y penser comme à une énorme entité. Transformez tout ce travail en petites scènes à écrire, connectées les unes aux autres en série. Concentrez-vous sur le but de l’histoire et la façon dont les personnages l’atteindront ; mettez-vous quelque temps à leur place. Analyser et méditer sur leurs actions futures aide à déterminer quelles scènes écrire. Laissez leur personnalité et leurs réactions vous guider, plutôt que de suivre un plan fixe. Si vous en avez un, très bien, mais ne craignez pas de vous en écarter. Enfin, vous n’êtes pas obligé d’écrire toutes les scènes dans l’ordre. Si vous vous ennuyez ou si vous avez une idée qui ne suit pas tout à fait la précédente, eh bien tentez-la. Inquiétez-vous de la relier aux autres plus tard. Écrire un roman, c’est parfois autant un travail de découverte que de technique.

Publié pour la première fois en 1983, Will Greenway a commencé sa carrière créative avec la volonté de dessiner et d’écrire des scénarios de comics. Après un certain nombre d’années, il s’est rendu compte que l’écriture correspondait mieux àses compétences. En dehors de l’écriture et de l’art, Will est un programmeur autodidacte, technicien informatique, et expert en réseaux. Il aime faire du ski, du racket-ball, du disc golf, et est un indéfectible supporter des jeux de rôle. A ce jour, il a achevé dix-huit romans, plus de vingt nouvelles, et de nombreux articles sur l’écriture. Il réside àSprint Valley, dans la banlieue sud de San Diego.

Le Ring Realms, l’univers partagé dans lequel ses romans ont lieu, est présent en ligne àhttp://www.ringrealms.com (en anglais).

Notes

[1] NdT : Ces autres articles sont disponibles en anglais sur le site de l’auteur (voir bio), et tous ne seront pas traduits pour Jusqu’au dernier mot.

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1 Message

  • Quand est-ce qu’on arrive : Terminer un roman

    16 février 2007 22:32, par tsahel
    cet article tombe àpic. Je suis régulièrement prise d’accès de découragment àl’idée du gros cycle de SF que j’ai commencé. Mais, l’auteur a raison : un roman, ce n’est qu’un enchaînement de scènes. Ca devient de suite moins impressionnant

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